Diplôme du guide, la course aux courses.

- La course aux courses -

Vendredi 2 septembre 2022, il est 17h.

Les résultats devraient tomber à 19h00. 

En attendant nous savourons une bière au Bistrot des sports, en centre ville de Chamonix avec mes potes de promos.

Je suis dans un état second, je le sais, cette dernière semaine de stage à l'école s'est parfaitement bien passée, aucune raison que mon nom n'apparaisse pas sur cette feuille dans quelques heures.

J'attendais ce moment depuis si longtemps, sans vouloir vraiment y croire, de peur d'être trop déçu.

Des peurs, des doutes, des joies, des tristesses profondes, des angoisses et maintenant cet accomplissement.

Si tout va bien je serais guide de haute montagne dans 2h.

Beaucoup de choses me reviennent en tête à ce moment là, cet été à 200km/h va enfin se terminer, je vais pouvoir souffler, respirer, profiter.

Dans ce bar chamoniard, en cette fin d'après-midi, je ferme les yeux, et m'évade quelques mois en arrière le cœur léger...

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Début de la descente depuis le sommet de la Barre des Ecrins

PILIER SUD DE LA BARRE DES ECRINS - JUIN 2022

Voilà bien 4h qu'on s'est installés dans nos duvets, il fait plutôt bon en ce début juin, prémices d'un été apocalyptique. 

La nuit est étoilée et des petits bouts de gravillons me tombent sur le visage de manière régulière. 

La montagne n'aime pas ses chaleurs précoces ...            

Et moi je me trouve au beau milieu de ce colosse suffocant, sur une petite vire à 600m du glacier, shit.

Poussière que je suis dans cette immensité minérale.

Je n'arrive pas à fermer l'œil, un subtil mélange d'excitation et de peur occupe mon esprit.

J'ai le temps de laisser aller mes pensées, de toute façon j'en suis désormais persuadé, je ne tomberai pas dans les bras de Morphée cette nuit, alors autant en profiter pour une petite introspection d'altitude...

Je suis pourtant tellement heureux d'être ici avec eux ! 

Eux ce sont mes compagnons de cordées du jour, 2 bonhommes très différents mais au combien complémentaires. 

Du coté droit de mon duvet, Sylvain, un copain Palois de longue date, toujours motivé pour les grosses bambées, il ne m'aura pas fallu longtemps pour le convaincre de traverser la France pour nous rejoindre dans cette voie. 

Amoureux de l'Ossau et des nos belles Pyrénées, il a délaissé son beau JP pour venir ici, dans les Ecrins...

De l'autre, Yorick, dur comme un roc, une expérience alpinistique qui laisse songeur.

Aussi solide dans un bar chamoniard, verre de génép' à la main à 2h du mat, qu'à 8000m sur l'Annapurna mais surtout, une grande gueule comme je les aimes ! 

De ses mots, "Les Pyrénéens, c'est des chouettes gars, des bons vivants, ils se prennent pas au sérieux ". Je savais que ça collerait entre eux, ça ne faisait pas de doute.

Un yaourt ricard plus tard, perché sur notre nid d'aigle après notre première journée, les 2 types rient aux éclats, comme des copains d'enfance, heureux comme des gosses dans cette face gigantesque.

Une cordée aussi improbable qu'efficace !

Les acolytes en question, la crème de la crème

Yorick et Flo durant l'approche, face Nord du glacier noir en fond

Flo dans l'immensité du socle

BIP - BIP - BIP - BIP - BIP 

4h00, le réveil finit par me sortir de ma léthargie, mes potes aussi ont mal dormi, ça nous fait un point commun pour démarrer cette longue journée...

Nous ne le savons pas encore mais elle ne s'arrêtera qu'à 23h, heure à laquelle nous retrouverons nos voitures au parking du près de Madame Carle, après un court passage au sommet de la Barre des Ecrins (4102m).

Il nous reste 700m sur les 1300m que comptent la face.

1300m : le dénivelé total de la face .. Soit 2 face nord de l'Ossau empilées selon le choix d'unité ! Vertigineux pour un béarnais d'1m77 !

Plus que 19h avant la bière.

Les ressauts, dièdres, bastions, s'enchaînent naturellement.

14h00, nous sommes au beau milieu de la partie la plus raide de la voie, je suis impressionné par l'ampleur de la face, elle est aussi haute que large !

Plusieurs vieilles cordes abîmées, laissées par nos prédécesseurs, pendent dans le vide, cette paroi doit avoir beaucoup d'histoires à raconter ...

Nous voyons une cordée partie à la journée nous suivre quelques centaines de mètres en dessous.

18h00, nous sommes seuls au sommet de la Barre des Ecrins, le vent souffle fort, très fort et nous savons la descente encore très longue jusqu'au bas de la vallée.

Les mots sont aussi rares que l'émotion est forte. Nos accolades en disent long sur la joie qui est la notre.

 Nous venons de vivre une expérience très forte tous les 3, immergés pendant 30h dans cette immense face.

Quelques zigzags entre de belles crevasses, 2/3 chutes en crevasse,  des footings sous des séracs version XXL et nous voyons enfin le parking au loin.

Un bruit d'hélico à la tombée de la nuit, la cordée qui nous suivait n'est toujours pas sortie de la face. 

Nous voyons l'hélicoptère survoler le versant Sud que nous n'avons plus sous les yeux, nous savons que c'est pour eux...

Il n'y a plus qu'à espérer que cela ne soit pas trop grave. 

Nouveau pote, pas bien bavard

A l'approche du bastion raide

Terrassement du bivouac

Les pyrénéens en exode

22h30, l'interminable descente pointe enfin le bout de son nez.

Les genoux grincent quelque peu.

Yorick part en vitesse, il doit accompagner des clients au Mont Blanc demain (oui oui, vraiment).

Nous prendrons le temps de boire une bière et manger 3 pâtes avec Sly avant de nous écrouler de fatigue dans le camion. 

Le temps nous laissera savourer cette journée mémorable.

Il est certain que nous sommes très loin du record de vitesse de la voie, et ça tombe plutôt pas mal car ce n'est pas ce que nous sommes venu chercher.

D'ailleurs ...

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Qu'est ce que je suis venu chercher personnellement ?

Une aventure sauvage avec des copains ou une croix sur ma liste de courses des "engagées" pour enfin boucler ce diplôme commencé trois ans auparavant ?

J'ai clairement du mal à répondre à cette question.

Il est pourtant clair que ces voies me font rêver depuis toujours et que, le diplôme en poche, j'irais les parcourir à l'occasion avec des amis pour des journées de montagnes inoubliables.

Mais là c'est différent, là je n'ai pas le choix. 

Je dois les parcourir si je veux pouvoir me présenter à mon dernier stage dans deux mois. Je n'aime pas du tout cette obligation de courses, ni même cette notion de temps imparti. 

Difficile dans ces conditions de rester impartial quant aux conditions actuelles de la montagne... 

Selon toutes logiques (ou la mienne du moins), il ne faudrait plus s'aventurer dans ces grandes faces nord alpines durant ces périodes caniculaires.

Les risques de chutes de pierre (du petit galet au format HLM) étant plus que présent.

Et pourtant je vais passer une partie de mon été à me balader dans quelques une de ces faces instables, sans même en avoir réellement envie ..

Où est passé mon esprit critique, ma gestion du risque ? 

Joie sommitale pour les 2 aspis !

 

Dans ce bar, toujours les yeux fermés, je continue mon voyage dans le temps ...

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TENTATIVE AU PILIER GIROD - FACE NORD OUEST DU DOME DES ECRINS - JUIN 2022

La face Nord Ouest du dôme des Ecrins lors de l'approche

- "Bon alors, la Bonatti au pilier rouge du brouillard , directe Américaine au Dru, Pilier Girod au Dôme des Ecrins ?!"

- "Bah écoutes il semblerait qu'il soit tombé une belle quantité de neige en altitude à Cham, sachant qu'on doit être dans les Pyrénées dans 1 semaine, le créneau serait hyper court pour aller dans le massif du Mt Blanc le temps que ça sèche..."

- "Pilier Girod alors ? Toute façon faut qu'on optimise le temps et qu'on boucle cette liste, je vais pas attendre 1 an de plus pour finir cette formation !"

"Optimiser", "rentabiliser", ces mots pourtant contraires à mes valeurs montagnardes auront dicté nos conversations, comme un crève cœur.

Voilà donc comment nous nous retrouvons, Raph, Jérôme et moi même à marcher en direction du pilier Girod, toujours dans notre "course à l'engagée".

Je me pose durant l'approche cette question "serions nous là, ensemble, tous les trois, si nous n'avions pas cette liste de course à boucler" ?

Très certainement que non, nous aurions attendu des conditions plus stables, un été moins chaud ou tout simplement opté pour une belle course qui nous branche tout les trois. 

Mais nous n'en parlons pas ou peu, nous gardons la motiv', ça va être une belle journée entre copains et ces doutes ne seront bientôt que du passé. 

Nous plongeons dans un sommeil profond.

                                BIP - BIP - BIP - BIP - BIP 

5h00 du matin, après un bivouac confortable au pied du glacier, nous sommes au pied de la face, prêt à en découdre.

Le caillou est vraiment pourri dans ce socle de 150m.

Certains appellent cela du caillou "intéractif", je comprend le terme, il veut énormément interagir avec nous ce caillou, peut-être même un peu trop ...

6h00 du matin, j'entend mon leader crier "PIERRES".

Etant donné que personne ne s'appelle Pierre dans la cordée, je comprend rapidement le caractère inquiétant de son message...

Pas assez rapidement.

Après avoir esquivé quelques cailloux bien décidés à m'impacter, je vois un flash, puis une douleur vive, me voilà en train de me tenir la mâchoire. 

Les 3 mousquetaires

Dernier repérage avant d'aller se coucher

J'ai terriblement mal, j'essaye de la bouger doucement avec la crainte d'entendre un gros craquement interne. 

Je pleure. De douleur ou de colère, je ne sais pas. 

"Putain mais qu'est ce que je fou la ?!"

Je rejoins mes potes au relais, le visage endoloris et l'esprit clairement secoué.

La décision est prise, on descend, enfin ... on essaye. Le terrain est vraiment pourri et dangereux.

Pas dans mon assiette, je donne mes pitons à Jéjé pour qu'il nous confectionne un relais, en 4 rappels on devrait pouvoir rejoindre le glacier et rentrer à la maison, en un seul morceau.

Une mauvaise manipulation entre nous et les pitons se retrouvent 150m plus bas, sur le glacier ...

"Bon beh là, on est dans la merde"

Il nous reste une seule option vraiment envisageable, appeler l'hélico pour nous sortir de cette face.

Un coup de radio (quelle chance qu'elle passe...) , 1h30 d'attente sur notre mauvais becquet, et enfin ce bruit de rotor au loin.

Je vais mieux, je suis sonné, mais je suis quasi certains de n'avoir rien de cassé, j'ai juste besoin de prendre du recul sur tout ce qu'il vient de se passer.

Un secours épique, en pleine face nord, un treuillage qui, comme toujours n'a rien d'anodin, merci au pilote, mécano et aux deux secouristes, merci infiniment.

J'appelle ma copine sans vouloir l'inquiéter, on rentre dans les Pyrénées, on a pas fait la voie mais tout va bien, un tour d'hélico sans conséquences..

L'important c'est que je rentre à la maison.

Avant l'impact

Après l'impact, en attendant l'hélico

Mon rêve semble vouloir s'éterniser, je ne veux plus ouvrir les yeux et  je me remémore maintenant notre aventure dans le Valgaudemar.

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 VOIE DE LA MAFIA - LES ROUIES - JUILLET 2022

Le refuge du pigeonnier et la face Sud des Rouies en fond

- "Mais c'est pas la voie que tu me disais dangereuse au caillou pourri qui a une sinistre réputation ?!"

- "Si, mais  j'ai eu un pote au téléphone qui l'a faite récemment et apparemment c'est pas si pourri, faut juste faire attention et bien protéger en haut ..."

- "Comme tu veux mais fais gaffe, je te fais confiance."

Parfois j'aimerais pouvoir me faire confiance autant qu'elle me fait confiance.

Certains "à très vite", sont plus lourds que d'autres ...

Nous voilà reparti avec Jérôme en direction des Alpes et plus précisément du Valgaudemar cette fois.

Deux semaines se sont écoulées depuis notre tour en hélico improvisé dans les Ecrins. Nous voulons conjurer le mauvais sort et reprenons la même équipe pour partir à l'assaut de la voie de la Mafia aux Rouies.

La voie a une sinistre réputation, quelques cordées, dont des jeunes aspirants guides y ont laissé la vie. Je ne peux m'empêcher de m'identifier à eux, dans cette "course à la course".

J'enlève rapidement cette idée nocive de mon esprit et me dit qu'avec mes acolytes, nous mettrons tout en œuvre pour que cette journée se passe pour le mieux.

4h00, la nuit fût bonne au refuge du pigeonnier, nous nous levons tôt pour marcher sur le petit glacier au lever du jour.

S'en suivra ensuite les 800m de face au caillou ... intéractif / vivant / caractériel / Oisans.

Nous avons divisé la voie en trois parties, je m'occupe du 1er tiers, Jérôme du second et Raph terminera les hostilités jusqu'au sommet. 

La descente sera normalement sans histoires car facile techniquement jusqu'au refuge.

Le temps est prévu beau si ce n'est quelques petites averses qui semblent inoffensives en début de soirée ...

10h00, "fais chier, faudrait pas que je parte avec une prise maintenant".

20 mètres que je n'ai pu mettre aucunes protections, j'ai un gros doute sur l'itinéraire que je suis en train d'emprunter et je sais mes deux seconds en corde tendu dans du terrain pas facile, au caillou mauvais.. 

J'aime pas ces situations, l'erreur est totalement interdite. En plus de risquer ma vie en cas de chute, je risque d'embarquer les copains.

Je teste toutes les prises quatre fois et grimpe léger comme un chat.

J'aperçois enfin cinq mètres au dessus un bout de cordelette qui pend, en m'approchant, je vois les deux vieux pitons mentionnés sur le topo, OUF !

Je peux me détendre un peu, j'ai fini ma partie du boulot et laisse la main à Jérôme pour la partie centrale.

C'est plus facile de faire le malin au fond de la vallée...

Jérôme dans un des 6b du bastion

14h00, ça fait bien 40min que l'on est suspendu dans notre baudrier avec Raph. 

Au début on trouvait ça marrant de s'imaginer si petit et insignifiant, pendus sur nos trois pitons en pleine face Sud des Rouies.

Mais plus les minutes passent, plus notre appréhension monte, "putain qu'est ce qu'il fout Jéjé ?!".

Soudain, j'entend un caillou siffler, je me penche en avant pour me protéger et le voit frôler la tête de Raph à côté de moi.

Celui-ci ne s'est rendu compte de rien, de mon côté je suis livide, il était pas petit ce caillou ...

Quelques minutes plus tard, nous entendons le tant attendu "relais", crié par Jérôme. L'ascension va reprendre.

Nous apprendrons en le rejoignant qu'il s'est trompé d'itinéraire de quelques mètres et a grimpé sur du caillou totalement exécrable pour rejoindre le relais...

19h00, Raph a pris la main depuis 1h, nous ne sommes pas franchement rapide mais faisons l'effort de nous protéger correctement, même dans les parties plus faciles, cela nous coûte un temps précieux.

Ca fait maintenant 2h que nous sommes dans le brouillard, nous savons que nous allons rejoindre le sommet d'ici peu car nous sommes sur l'arête sommitale, donc sortie de la face.

Quelques petites averses de neiges s'invitent par moment aux festivités.

Ce brouillard n'est en lui même pas vraiment inquiétant. Ce qui l'est un peu plus, c'est notre incapacité depuis 2h à voir ce que nous avons au dessus de la tête...

19h30, sommet ! 

Nous ne voyons pas à trois mètres mais nous y sommes.

Quelques accolades et nous remettons rapidement nos crampons, la descente s'annonce beaucoup plus détendu car glaciaire et facile...

Lors d'une belle trouée, sur l'arête sommitale ! Sommet en vue !

Jérôme quelque part dans l'immensité de la face

Quelques secondes d'euphorie sommitale s'écoulent et soudain, un flash au milieu du brouillard.

Une détonation quelques secondes plus tard.

Il y a un orage au dessus de nous, il faut descendre au plus vite pour limiter notre exposition à la foudre.

L'orage s'intensifie, nous ne pouvons pas vraiment courir car nous évoluons sur un glacier...

L'expression "ne pas confondre vitesse et précipitation" a pris tout son sens à ce moment là.

Il s'intensifie encore, comme pour nous tester, jusqu'à la dernière minute. 

Nous sommes désormais sortis du glacier et évoluons sur un petit chemin pas bien marqué. 

Il pleut des cordes, il grêle, les flashs éclairent le ciel. 

Certains impacts de foudre tombent vraiment pas loin, j'essaye de rester rationnel en me disant que "mourir foudroyé c'est quand même super rare" mais la rationalité m'a quitté, elle devait être tout aussi terrifiée !

Je sais que le refuge n'est plus très loin, nous courons comme des lapins et évitons de nous blesser si proche de la fin.

Nous rentrons enfin tout les trois dans le refuge à 21h, le gardien est rassuré de nous voir, nous le sommes tout autant ...

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"Flo, réveil toi, on a rendez-vous en amphi..."

Ces quelques mots me sortent de mes pensées. 

Me voilà avec mes acolytes à marcher, tête dans les nuages en direction de l'Ecole Nationale de Ski et Alpinisme.

Dans quelques minutes, je serais guide de haute montagne, mon rêve sera devenu une réalité. 

Photo : Jean Annequin

La nouvelle promo, bravo tout le monde ! Photo : Jean Annequin